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2012-11-10T17:59:00+01:00

Le Serviteur du Temple

Publié par Kaybee

Le Serviteur du Temple

 

 

- Ah, imbécile, ne touche pas mes habits!

Le serviteur, qui réarrangeait la tenue d'apparat, sursauta brusquement au milieu de son geste et jeta un regard ahuri à la jeune prêtresse debout devant son miroir. Au même moment, une sandale dorée le frappa en plein visage, et il gémit en posant un genou à terre. Il se frotta d'abord les yeux, puis il se couvrit le visage de la main, restant ainsi immobile sans oser croiser son regard. Après un instant, il tendit la main vers la sandale, avant de se raviser: la chaussure aussi était sacrée.

- Un serviteur du temple devrait savoir cela, cria furieusement la jeune prêtresse, en s'approchant de lui. Le rite n'est que dans quelques heures...

Elle n'était pas grande et sa voix fluette ne portait pas loin, mais son visage exprimait puissamment son courroux. Elle n' était entrée au temple que depuis deux ans, mais on parlait déjà d'elle comme de la prochaine Grande Prêtresse, celle qui rencontrerait le dieu et parlerait avec lui. Son tempérament explosif avait quelque chose d'effrayant, mais on disait que sa main tuait aussi sûrement qu'elle guérissait, et que sa magie dépassait de loin celle de ses rivales. La défunte Grande prêtresse n'avait-elle pas elle-même annoncé que celle qui la suivrait serait d'une force exceptionnelle?

- Sors d'ici immédiatement, ta vue me répugne! Cria-t-elle encore.

Il inclina la tête et obéit sans un mot. L'air de la chambre était lourd de fumées destinées à favoriser la connexion de la conscience et de l'âme; les habits d'apparat avaient trempé dans des essences sacrées; les deux fenêtres de la pièce étaient condamnées de l'extérieur. Servir cette peste était une telle corvée! Elle lui avait été assignée parce qu'il était le plus dégourdi pari les neuf esclaves au service du temple. Sa connaissance du lieu et des rites, ainsi que son intuition, lui avaient valu une réputation honorable malgré son statut. Il n'avait pas de nom à lui mais tout le monde l'appelait le Novice depuis si longtemps qu'il ne se souvenait plus quand ni comment ce surnom lui avait été donné. En revanche, il appréciait d'avoir sa chambre à lui où se reposer après ses corvées, près des quartiers de la Grande Prêtresse et la salle des rituels, tandis que les autres serviteurs logeaient tous ensemble dans une dépendance mal éclairée, humide et froide.

En dehors de l'inévitable torture de se plier aux caprices de jeunes adolescentes aux raisonnements fabriqués et imbues d'elles-mêmes, le service quotidien n'était pas insupportable; on mangeait bien et l'entente entre les esclaves était bonne, même si quelques accrochages survenaient de temps en temps. Se mêler de ces disputes le divertissait un peu, mais il savait qu'on le craignait. Les rituels pesants et soporifiques réservaient parfois quelques surprises appréciables, et il ne se lassait jamais d'entendre les pensées alambiquées de ces religieux aux mains blanches. De quelque manière qu'il y regarde, il les trouvait inutiles. Allongé sur son lit, une simple planche de bois posée à même le sol et couverte d'une peau d'ours en lambeaux, il ferma les yeux et fredonna un air profane en souriant. Les musiques sacrées l'écoeuraient, il n'en pouvait plus; mais à l'occasion, il entendait les servantes des nobles de passages chantonner des chansons populaires dans l'enceinte du temple, et il tâchait de ne pas en perdre une miette, car distinguer les ritournelles au milieu de ce tintamarre soit-disant saint n'était pas aisé. Même les servantes s'emmêlaient les pinceaux de temps en temps, et cela lui causait de terribles déceptions.

Il aimait bien écouter les prières des jeunes gens aux prises avec l'amour également; cela mettait un peu de piment dans la vie monotone et presque asexuée du temple. Presque... L'esprit de ces jeunes filles était parfois si surprenant! Il n'était pas surprenant que tous les esclaves masculins soient châtrés à l'arrivée au temple. Son corps aussi avait été mutilé, mais il ne s'en souvenait plus, c'était il y a si longtemps... Et cela n'avait jamais empêché la défunte Grande prêtresse de lui jeter parfois des oeillades qu'il faisait sagement semblant d'ignorer.

Il se tourna sur le côté en soupirant, la planche grinça un peu. Depuis son décès, il se sentait un peu seul. Elle avait été pour lui un peu comme une amie; désormais, il avait du mal à supporter l'énergie instable des jeunes prêtresses, et il n'avait pas confiance en cette pimbêche qui allait lui succéder. Pourtant, il ne parvenait pas à la chasser de son esprit; elle le fascinait. Et plus il y réfléchissait, et plus il approuvait cette succession sans pouvoir s'empêcher de la redouter. La vieille connaissait-elle si bien son dieu? Il sourit. La profondeur de leur lien lui avait-elle échappé?

Beaucoup de rumeurs circulaient autour du rituel de la rencontre avec le dieu. Certains disaient qu'il s'agissait d'une simple transe, d'autre évoquaient le voyage de l'âme. Mais lui savait exactement de quoi il retournait. Isolée dans la salle du rite, la Grande prêtresse attendait dans la pénombre la venue de la divinité. Parfois, le dieu venait. Souvent, il ne venait pas. Les prophéties qui étaient produites par la suite était considérées comme un prodige, et cela le faisait bien rire... Mais, cette jeune prêtresse, allait-elle le rencontrer? Allait-il se donner la peine de paraître devant elle? Allait-il la subjuguer? Voudrait-il lui parler?

Son corps crispé tremblait; il se redressa vivement, en sueur. Depuis quand était-il à ce point obsédé par elle? Elle le traitait si mal et sa foi ne lui semblait être qu'une pâle imitation de ce qu'il avait ressenti de la défunte Grande prêtresse. A cet âge, que pouvait-elle comprendre de la vie, de la mort, de l'existence, de l'éternité? Savait-elle seulement ce que signifiait l'amour? Profane et éhontée, elle allait entrer dans cette salle et déclamer ses prières, simuler une transe et courir mentir à tous qu'elle avait rencontré son dieu! Il serra les dents. Si elle commettait ce sacrilège, il la maudirait pour de bon. Pour le moment, il fallait qu'il détende ce corps soumis à la force de ses émotions.

Enfin, l'heure du rite vint. Il se leva et rejoignit les fidèles, les dignitaires et les prêtresses dans la salle de prières. La jeune peste devait s'habiller seule et traverser cette salle austère pour pénétrer dans le lieu du rite. Lorsqu'elle apparut, tous s'agenouillèrent et baissèrent les yeux. Tous sauf lui. Le regard vide, elle passa devant lui sans le reconnaître. « Menteuse », pensa-t-il. Elle était belle dans sa tenue blanche ourlée de fils d'or; une cape en velours vert sombre couvrait ses épaules et sa silhouette, mais il la savait fine et gracieuse. Elle entra dans la salle du rite, il la suivit, refermant silencieusement les lourdes portes derrière eux. Un courant d'air importun éteignit les bougies, elle étouffa un cri en sursautant et fit un tour sur elle-même, paniquée, mais elle ne le vit pas. « Voilà donc celle qui est censée parler à Dieu », pensa-t-il avec ironie. Il voulait hurler de rage, mais il se retint. Il percevait sa respiration saccadée, même ses battements de coeur rapides lui parvenaient. Ou bien était-ce son propre coeur qui battait si fort? Ce ne pouvait être son coeur de toute manière, puisqu'il n'en avait pas!

Elle s'était agenouillée et avait commencé le rituel qu'on lui avait appris, il faillit éclater de rire. Elle tremblait. Il en fut ému, sans oser chercher à lire ses pensées. Les paroles sacrées se perdaient dans l'obscurité; elle se mit à pleurer. Il s'approcha alors, s'agenouilla près d'elle et prit sa main. Elle était froide et tremblante, mais il la sentit s'apaiser immédiatement. Il contempla son visage effaré, déformé par la peur, et lui trouva plus de charme encore que lorsqu'elle était en colère, ou simplement méprisante. Il serra sa main plus fort, elle tressaillit.

- Perçois-moi, dit-il enfin, caressant son visage avec tendresse.

Ce fut comme s'il lui enlevait un voile des yeux, et il vit dans son regard surpris qu'elle avait été touchée par sa grâce. Comme elle était belle, fragile, perdue, au bord de l'indignation, mais prête à le vénérer! Il mit un doigt sur sa bouche et scella sa voix. Instinctivement, son corps frêle s'éloigna de lui, mais déjà il avait subjugué son esprit. A présent, elle comprenait ce qui lui avait échappé durant ces années où elle ne l'avait vu que comme le serviteur discret de ce temple ridicule.

- Vas-tu me servir comme je t'ai servi? Demanda-t-il. Vas-tu m'aimer comme je t'aime?

Elle retint son souffle, ses lèvres remuèrent mais aucun son n'en sortit. Il lut ses pensées et se détendit, puis, rassuré, libéra sa parole.

- Oui!

Il l'étreignit contre lui et se laissa griser par les douces sensations qui couraient dans le corps mutilé qui lui servait de réceptacle.

- Ils t'ont dit que je suis un dieu, mais loin de leurs yeux, je ne veux être que ton homme.

A nouveau, elle acquiesça. Puis elle l'embrassa et s'étendit lentement sur le sol froid en lui souriant. Il frémit d'indignation et de désir mêlés.

- Non, pas ici, ce serait sacrilège, dit-il calmement avec un sourire en coin. Finis le rituel, je t'écouterai de loin. Ensuite, retrouve-moi dans tes quartiers. Je saurai quoi faire de ces habits qui n'ont absolument rien de sacré...

 

 

Kaybee

 

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