Lui et moi dans l'ascenseur

~~L’homme que j’aime dans l’ascenseur Il me regarde. Je ne rêve pas. Ses yeux bridés sont immobiles, fixés sur moi, j’en suis sûre.

C’est la quatrième fois en deux semaines que nous nous croisons dans l’ascenseur. Il a toujours cet air à la fois choqué et surpris quand nos regards se croisent. Je me demande s’il peut lire les pensées qui traversent mon esprit subjugué.

Son catogan prétentieux est lisse et brillant, sa peau est mate et lisse comme la porcelaine. Il s’habille avec style. C’est un extraverti, un homme solaire. Il aime paraître, cela se voit ; mais quels secrets déchirants peut-il cacher à nous autres vulgaires mortels ?

M’agripper gauchement à son corps enrobé de joie de vivre ? Le défier avec arrogance et gourmandise, en avouant mon désir ? J’y ai pensé, je l’ai envisagé. Et puis, quoi ? Le suivre, nous éclipser l’un dans l’autre, l’un par l’autre ?

Il est là, debout, de l’autre côté de l’agora qu’est devenue cette perverse cabine d’ascenseur. Il parle à un autre. Pourvu qu’il ne soit pas un homme qui aime les hommes ! Pourvu que je sois une femme qui ressemble à une femme !

Les portes vont s’ouvrir ; il me manque déjà. Attends, ne pars pas ! Si je me lançais maintenant, je pourrais peut-être sentir un peu sa chaleur, percevoir son souffle contre ma poitrine… Il sort de l’ascenseur sans voir que je retiens le mien. Je le suis un peu, satellite invisible, puis je rentre précipitamment dans la cage des mes délires romantiques. Personne ne m’a remarquée.

Je l’aime, je le désire et je l’envie. Peut-être même que je l’adore. Ce sont les yeux de la femme qui me regarde sur chacune des parois vitrées de l’ascenseur qui me le disent, c’est sa poitrine au mouvement rapide, ses doigts crispés et la contraction du coin gauche de sa bouche. Il me manque, hélas. Et l’ascenseur descend inexorablement. La femme me regarde tristement, puis soupire et détourne le regard.

Kaybee